Kossi Efoui : "Pour écrire, il faut la nuit"

Portrait de Kossi Efoui en 2022 - Ruhl Saur
Portrait de Kossi Efoui en 2022 - Ruhl Saur
Portrait de Kossi Efoui en 2022 - Ruhl Saur
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Originaire du Togo, Kossi Efoui vit en France depuis une trentaine d’années. Si le monde du théâtre le connaît bien, pour être l’auteur d’une œuvre foisonnante, Kossi Efoui publie ce qui n’est que son sixième roman, un portrait de sa mère, et une réflexion sur sa propre existence.

Avec

Opposant au régime du dictateur togolais Eyadéma lorsqu’il était étudiant, Kossi Efoui se réfugie en France au début des années 90 et est très vite reconnu pour ses talents de dramaturge. Auteur d’une œuvre théâtrale en clair-obscur, Kossi Efoui écrit contre le langage de la manipulation politique et les euphémismes de l’histoire. Sa production romanesque s’inscrit dans la continuité de son théâtre politique, consistant à faire de la littérature et du mot le terrain d’un combat. A l’occasion de la parution d’Une magie ordinaire, Kossi Efoui retrace son parcours littéraire, personnel et politique lors d’un entretien au long cours au micro d’Arnaud Laporte.

Dégager un espace d'expression

Kossi Efoui se souvient de la genèse de son activité d'écrivain et des liens que celle-ci entretenait à ses engagements politiques contre le régime dictatorial dans le Togo des années 80.

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“ Le contexte exigeait que l'on dégage l'espace d'expression. Il ne suffisait pas de s'exprimer. Il fallait ouvrir le champ à l'expression, mais matériellement, c'est à dire trouver le moyen de publier en l'absence de toute maison d'édition et avec l'omniprésence de la censure. Donc, publier, cela a été pour moi et certains camarades, de rendre publique. C'est peut-être pour cela que j'ai commencé à écrire du théâtre. (…) L'écriture théâtrale permettait de la représentation clandestine et on pouvait transformer n'importe quel endroit en scène, en espace scénique. Et puis aussi, et ça avait l'avantage de ne pas laisser de traces. Un texte publié laisse des traces, il y a une traçabilité possible, alors qu'un texte qui est joué laisse une empreinte dans la mémoire de ceux qui ont appris ce texte par cœur pour le jouer et eux aussi dans la mémoire de ceux qui y ont assisté. ” Kossi Efoui

La Chronique de Sophie Joubert | 10-11
4 min

Les dictatures ont peur de la littérature

Kossi Efoui s'interroge sur le pouvoir de la littérature. Contre la notion de littérature engagée, il fait valoir le besoin de beauté.

La littérature n'a pas prétention à faire tomber les armes des mains des soldats. Mais il y a quelque chose dans l'acte d'écrire qui peut aider. Ce que permet l'écriture, c'est l'insistance, comme l'incantation. Et donc ce n'est pas la littérature qui va faire tomber le dictateur, mais ceux qui vont faire tomber le dictateur ont besoin d'être nourris par cette insistance-là. Parce qu'après tout, faire tomber le dictateur n'est rien d'autre que le désir de beauté et le désir de beauté il faut bien la poésie pour le dire. Rien d'autre que la poésie ne dit mieux le désir de beauté. Et nourrir ce désir-là me semble nécessaire dans le champ politique. (…) Les dictatures ont plus peur de la littérature que les écrivains. La peur de la dictature par rapport au mot est disproportionnée. Je crois que nous autres écrivains, ne faisons pas tant que ça confiance aux mots pour démolir une dictature. Mais les dictatures sont convaincues que les mots peuvent les démolir et c'est une chance ; il faut les laisser croire ça.Kossi Efoui

L'art de faire revenir

A l'heure où paraît Une magie ordinaire, son sixième roman, Kossi Efoui nous parle de l'inspiration qu'il a puisée dans les chants incantatoires des poètes traditionnels et de l'art d'écrire la mémoire à partir des sensations.

“Je me suis demandé comment font les chansonniers pour composer oralement. Ça a toujours été un mystère pour moi. Moi, quand j'écris je rature, je reviens, je relis, je recommence, je jette. Je suppose qu’un poète traditionnel qui compose oralement fait les mêmes opérations, mais sans aucun support écrit. Moi, ça me fascine et je me suis intéressé à un moment donné à des poésies chantées dans ma langue maternelle. L'hypothèse que j'ai mise pour répondre à cette question de composition orale c'est qu'il y a des appuis rythmiques qui doivent aussi fonctionner comme des méthodes mnémotechniques. (…) Je crois que dans mon écriture il reste une trace du rôle que joue le rythme dans cette prise de parole incantatoire." Kossi Efoui

Je préfère faire confiance à ce que ce que mon corps a gardé, c'est une histoire de sensations. Je n’écris pas avec des idées. Je n'écris qu’avec des sensations, des bruits, des réminiscences. Ça peut être fugace, mais je préfère le fugace, saisir la trace infime et voir ce que je peux construire avec, plutôt que de lester l'écriture de documentation, de notes, d'une mémoire écrite. Non, tout est mémoire sensible.Kossi Efoui

Actualité :

Une magie ordinaire de Kossi Efoui est disponible aux éditions du Seuil

Sons diffusés pendant l'émission :

  • Ahmadou Kourouma, archive diffusée dans l'émission "Une vie, une œuvre" en 2007
  • Léonora Miano au micro de Marie Richeux dans l'émission "Par les temps qui courent", sur France Culture en 2018
  • Le choix musical de l'invité : Blind Willie Johnson - "Dark was the night, cold was the ground", enregistrée en 1927, un des 27 échantillons de musique du monde inclus dans le Voyager Golden Record, un disque en or, comportant des informations et des pistes audio. Ce disque est fixé sur les sondes Voyager 1 et Voyager 2, lancé dans l'espace en 1977 pour représenter la diversité de la vie sur Terre.

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