LA BOTTE DE CHAMPOLLION - Sébastien MAGRO - Héritage colonial des musées
#0 | Pourquoi une newsletter sur l'héritage colonial des musées ?
Héritage colonial et décolonisation des musées, en France et dans le monde
Sebastien Magro
1 sept. 2022
Depuis le XVIIIe siècle, le développement économique de l’Europe, d’abord marchand puis industriel, a accompagné le développement des musées. Leur histoire est intimement liée aux conditions matérielles d’acquisition et de production des objets entrés dans leurs collections. Les conquêtes coloniales, le commerce triangulaire et les imaginaires que le Vieux Continent a projetés sur l’Afrique, l’Asie, l’Océanie et les Amériques font partie des mécanismes de sélection qui ont permis la constitution des collections, dans une relation asymétrique unissant l’Europe et les continents qu’elle a colonisés. Ces dernières années, une part croissante d’établissements (se) pose la question de l’héritage colonial, à la fois dans le discours porté par l’institution et dans ses pratiques internes. Plusieurs musées abordent frontalement le passé esclavagiste à l’échelle locale (Nantes, Bordeaux, La Rochelle) ou nationale (Rijksmuseum and Slavery à Amsterdam). Ailleurs en Europe et dans le monde, certains abordent timidement la question (Collecting and Empire Trail au British Museum de Londres), quand d’autres sont clairement engagés dans une démarche de décolonisation (Musée McCord à Montréal), alors que de nombreuses procédures de restitutions d’objets acquis illégalement sont en cours. Enfin, le secteur porte un intérêt croissant à la recherche de provenance, comme en témoigne la création la création d’un poste dédié au musée du quai Branly en 2021, et celle d’un diplôme à l’Université Paris Nanterre en 2022.
Ces dynamiques font écho aux débats qui ont entouré la proposition de changement de définition des musées suite à la conférence générale de l’ICOM en 2019, mettant en évidence les tensions qui existent au sein de la communauté professionnelle. L’adoption, fin août 2022, d’une nouvelle définition marque la volonté de l’institution d’aller vers plus d’accessibilité, d’inclusivité et de diversité, et d’accorder davantage de place aux communautés et à leur participation à la vie de l’institution. Si c’est un signal fort après 3 ans de discussions pour parvenir au consensus, reste à savoir comment les musées s’empareront de cette définition. Car s’engager dans une démarche de décolonisation nécessite une distance critique, une démarche réflexive que tous les établissements ne sont pas prêts à engager sur leur histoire, leurs pratiques et leurs cultures professionnelles. Les musées doivent également se soumettre à une exigence de transparence dans leur discours, attendue par les publics et par une part non négligeable des agentes et des agents.
Sébastien Magro
Pourquoi le sujet m'intéresse-t-il ?
Je m’appelle Sébastien Magro. Je suis journaliste indépendant depuis 2020, après 15 années passées dans le secteur culturel. De 2012 à 2019, j’ai été chef de projet éditorial web au musée du quai Branly. Parmi mes missions figuraient l’animation des réseaux sociaux de l’établissement et la production d’une lettre d’information interne. De cette place, j’ai observé et relayé les demandes de restitution exprimées par les publics et leurs attentes d’une plus grande transparence sur l’histoire des collections, et ce, bien avant la décision d’Emmanuel Macron et le discours de Ouagadougou.
En tant que visiteur, mon histoire familiale est complexe, comme celle de beaucoup de Françaises et de Français. Du côté de ma mère, les racines sont franciliennes et hongroises. La famille de mon père est italo-tunisienne, descendante de Siciliennes et de Siciliens arrivés au XIXe siècle en Tunisie, alors que l’Italie tentait de développer un empire colonial à l’image des nations européennes rivales. Plusieurs de mes nièces et neveux ont un père antillais. Elles et ils ont hérité d’une histoire qui lie le commerce triangulaire, l’histoire coloniale de la France et de l’Italie, et un patrimoine culturel méditerranéen. Raconter (et voir racontée) cette histoire complexe reste encore rare dans les institutions muséales françaises.
Mais l’héritage colonial concerne toutes les Françaises et tous les Français, quelle que soit leur histoire, car il continue de conditionner les rapports sociaux, l’économie, le paysage culturel et médiatique, la production de la pensée et la recherche. Que nos ancêtres aient subi ou profité de l'esclavage et de la colonisation, nous en vivons toutes et tous les conséquences.
Pourquoi “La botte de Champollion” ?
Il s’agit d’un clin d’œil à la leçon inaugurale de Bénédicte Savoy prononcée au Collège de France le 30 mars 2017. Dans ce texte, l’historienne de l’art évoque une statue d’Auguste Bartholdi représentant Jean-François Champollion, et toujours visible dans la cour d’honneur du Collège de France. L’égyptologue y trône fièrement, botte posée sur le fragment d’une tête décapitée évoquant Ramsès II.
Date de création : 21-12-2023