"Photo de groupe au bord du fleuve", de Emmanuel DONGALA
Elles sont femmes et africaines, elles cassent des cailloux au bord du fleuve, travail de forçat pour gagner le peu d'argent qui leur permettra de nourrir leur famille.
Aucune, n'avait choisi de casser la pierre, arrivées là par des chemins différents, acculées à ce travail, probablement à vie, jusqu'au jour où leur corps cèdera.
La dure réalité souvent brise les rêves, chacune a le secret de sa vie, l'infortune du hasard qui les a amenées ici, car chaque souffrance est unique.
Elles ont en commun le partage d'une condition et vont s'unir pour une rémunération plus juste, pour un prix honnête du fruit de leur travail.
Ce combat est celui de l'union collective et de la détermination face à l'adversité et à la corruption.
Elles se battent car elles prennent conscience que le pouvoir de changer leur vie est entre leurs mains.
Truffé de nombreuses références littéraires, et de portes ouvertes vers le monde et le combat de toutes les femmes du monde, ce roman s'inscrit dans la plus belle tradition sociale et humaniste.
EXTRAIT
« Tu enlèves le panier que tu portes sur ta tête et le tiens par les anses.
Cela te permet de balancer plus amplement tes bras et de marcher ainsi plus vite.
Tu as hâte d'arriver au chantier avant que les premiers véhicules d'acheteurs ne se présentent pour leur annoncer la décision que vous avez toutes prise hier à l'unanimité.
Tu as été choisie comme porte-parole et, même si tu n'as accepté cette fonction que contrainte et forcée, il ne faut pas décevoir celles qui ont placé leur confiance en toi.
Cependant, tu n'arrives pas à écarter de ton esprit les inquiétudes de tantine Turia ; tu te rassures toi-même en te disant qu'elle se trompe, que votre décision n'a rien à voir avec la politique, et que vous vous battez tout simplement pour votre pain quotidien.
D'ailleurs n'étaient-ce pas ces grands panneaux aux ronds-points qui affichaient le portrait du président de la République en veston–cravate, en tenue de sport en train de courir le marathon, en blouse d'infirmier en train d'administrer aux enfants des vaccins contre la polio, son épouse à ses côtés, avec une truelle à la main en train de poser la première pierre d'une école ou d'un hôpital, sur un tracteur en train de lancer la construction d'une route, sur un voilier en tenue de skipper, sans tous ces panneaux, tu n'aurais jamais su à quoi ressemblait sa bouille.
Ta seule préoccupation était de savoir comment tu allais faire pour casser au plus vite la quantité de pierre nécessaire pour entrer en possession de cet argent dont tu avais un besoin si urgent.
L'idée d'en revendiquer un nouveau prix n'avait pas été préméditée, elle s'était imposée toute seule, peu à peu, par effraction presque. »
Emmanuel DONGALA est un écrivain congolais, enseignant aux États-Unis.
Chimiste de formation, c'est à la littérature et au théâtre qu'il consacre une grande partie de son temps en tant qu'animateur du célèbre théâtre de l'Éclair à Brazzaville.
Exilé en Amérique après le début des conflits qui frappent son pays à la fin des années 1990, l'écrivain porte un regard désenchanté mais non dénué d'humour sur l'Afrique.
Ainsi, 'Johnny Chien Méchant', son ouvrage le plus célèbre, dépeint de manière crue et cynique la tragédie des enfants soldats.
Lecture partagée par Chantal Dimier, de l'association Ebenbao, le 5 juillet 2010
En lire plus
Africultures, sur Emmanuel DONGALA >>voir la page d'Africultures>>
Le blog de Gangeous, un coup de coeur >>voir l'article>>
Cultures-Sud, un article d'Yves Chemla sur Cultures-Sud >>voir l'article>>
Écouter
Rfi, "En sol majeur", deux entretiens par Yasmine Chouaki du 21/06/2010
>>écouter l'entretien 1 et ses choix musicaux>>
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