Celles qui attendent, de Fatou Diome
Lamine et Issa sont partis pour l’Europe.
Ils ont quitté leur île du Sénégal pour tenter l’aventure, et ceci avec la bénédiction et le soutien de leur mère respective.
Et à présent, commence l’attente pour Bougna et Arame les deux mères, mais également pour Coumba et Daba, les deux épouses.
L’angoisse et l’incertitude s’installent dans les cœurs, face au danger de la traversée.
Il faut s’accrocher à tous les espoirs, pour ne pas tomber au bord du gouffre sans fond.
Pendant des années, elles vont attendre pour savoir ce qu’il est advenu de leurs hommes, partis vers une terre qu’ils espèrent meilleure.
Femmes courages, qui gèrent au jour le jour le quotidien de toute la famille, qui subissent les aléas de la polygamie, de la jalousie entre les épouses, des inégalités, de la pauvreté. Femmes de caractère aussi, qui connaissent le prix des sacrifices de la vie.
Et puis, un jour, ils reviennent, après avoir parcouru le long périple du clandestin, fait de débrouilles et de petits boulots, ils reviennent et ce n’est plus forcément, ceux que l’on attendait……….
Véritable chronique sociale, Fatou DIOME décrit les travers des situations économiques de ce monde, avec amour, et sans complaisance. L’écriture est lyrique et puise sa force dans l’indignation et la colère.
Extrait
Choisir un extrait n’a pas été facile car l’ensemble du livre est d’une puissance incroyable.
« L’émigré en vacances était passé pour la saluer.
Courtois et consciencieux, il ne s’autorisait pas un retour en Espagne avant d’avoir accompli ses figures imposées.
Comment aurait-il osé donner à Lamine des nouvelles fraîches du Pays sans avoir vu sa mère ?
Et comme Lamine n’était pas seul à attendre son compte rendu, il avait passé ses vacances à sillonner le village.
Fatigué par une journée de salamalecs, il souhaitait écourter sa visite, mais il ne put se soustraire aux sempiternelles questions.
Partout on l’avait soumis au même interrogatoire.
Les mères d’immigrés semblaient avoir répété ensemble la même pièce, et lui, mauvais comédien, était tenu de leur donner la réplique.
Comme Bougna et beaucoup d’autres mères, avant elle, Arame le scruta, le sonda, le consulta, s’inquiétant pour son fils, ensuite pour tous ses compagnons d’aventure…….
L’homme minimisa les épreuves de la traversée pour la rassurer.
Même si les limiers espagnols voyaient d’un très mauvais œil ces esquifs bourrés de zombies qui s’échouaient sans arrêt sur leur côte, la Croix Rouge veillait……..
Il n’est pas toujours facile d’être dans la position de celui qui sait……… Seuls ceux qui connaissent l’itinéraire pavé d’embûches des émigrants auraient pu remplir les nombreux blancs laissés par la délicatesse du conteur. « Tout s’est bien passé ». Et Arame, qui buvait ses paroles, se détendit, presque apaisée. La berlue, c’est parfois un mot à la place d’un autre. L’homme s’était retenu d’ajouter : « autant que le permettait un tel contexte… » De fait, l’équipage de Lamine et Issa avait reçu le même traitement que tous les aventuriers qui accostent là-bas. Derrière les grilles de Ceuta et Mélilla, bat un cœur que l’Europe économique voudrait anesthésier. Mais, répondant avant tout aux consignes humanistes, les militants de diverses associations accourent, soignent, nourrissent, encadrent et consolent les enfants de la misère qui viennent se briser les ailes contre la vitrine européenne, comme les oiseaux happés dans les lames d’une girouette. »
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Fatou DIOME
Romancière née en 1968 au Sénégal, Fatou Diome vit en France depuis 1994 où elle enseigne à l'Université de Strasbourg et anime Nuit blanche, une émission culturelle mensuelle de télévision.
Son recueil de nouvelles, La préférence nationale, et son premier roman, Le ventre de l'Atlantique, abordaient sans manichéisme et avec humour parfois, les douleurs de l'émigration.
En 2006, elle a publié un second roman, Kétala, qui plonge au coeur de la tradition et du merveilleux. "On ne peut pas toujours emmener les siens avec soi, mais on part toujours avec sa mémoire".
A publié: La préférence nationale (nouvelles), Présence africaine, 2001 - Le ventre de l'Atlantique (roman), Anne Carrière, 2003 - Kétala (roman), Flammarion, 2006
[Source: Africultures >>www.africultures.com<<]
Pour aller plus loin avec ...
Chez Gangoueus>>http://gangoueus.blogspot.com/2010/09/fatou-diome-celles-qui-attendent.html<<
AFRICULTURES, critique par Jennifer Murzeau >>http://www.africultures.com/php/index.php?nav=article&no=9720<<
RFI, un entretien >>écouter (7'14'')
Roman - Flammarion - août 2010- 334 pages
Cette lecture partagée nous a été adressée par Chantal DIMIER, de l'association Ebenbao - Lavaur, 28/11/2011.
[Réd. 2012-02-24]