Alain MABANCKOU – Le sanglot de l’homme noir
Une main noire posée sur la carte de France comme un symbole d’appartenance qui ne se donne pas sans mal
Faisant écho à l’essai de Pascal BRUCKNER, « le sanglot de l’homme blanc », Alain MABANCKOU nous conduit par son récit à une réflexion sur l’identité, sur l’origine, sur la langue, sur l’histoire de l’Africain, de l’homme noir. Qu’y a-t-il à évoquer par delà la couleur de peau d’un homme, ou d’une femme vivant en Occident.
Dans son introduction, l’auteur s’adresse à son fils, et le met en garde afin qu’il ne tombe pas dans le moule du conformisme communautaire.
Partant de son parcours personnel, pour illustrer son propos à travers différentes anecdotes, A. MABANCKOU développe son point de vue sur de multiples aspects de l’improbable identité noire.
Un texte qui porte forcément la réflexion, sur la perception de la citoyenneté, et sur la science et le désir de comprendre le continent noir. Un texte qui s’arrête également sur les responsabilités de la traite négrière.
Si l’’identité est subjective mouvante et se crée dans les actes que nous posons, alors par cette œuvre, l’auteur contribue à l’arrêt des non-dits et à l’exorcisme des vieux démons.
Ce texte est un objet littéraire intéressant où l'esprit de l’auteur français se manifeste avec éclat, où l’intertextualité est une fois de plus la marque de son talent et de sa grande culture, il nous renvoie à nos lectures passées et à venir.
A.M. dit « l’Europe a su inventer le mythe de la civilisation parfaite et inculquer à ses anciens colonisés la fatalité d’une malédiction qui ne disparaîtrait qu’avec l’adoption d’une civilisation occidentale. »
Extrait
« Lorsque je regarde une carte de France, aucun lieu ne me paraît inconnu.
Pourtant, cette carte ne me plaît pas. Elle semble loin de la réalité.
Au fond, je sais que ce n’est pas cette France-là qui m’avait émerveillé depuis l’Afrique.
Ce n’est pas cette France que j’imaginais dans mon adolescence depuis les rues de Pointe-Noire.
Ce n’est pas cette France que je trouvais dans les livres.
Je rêvais d’une autre France, celle que j’attends encore.
La carte de France qu’on me présente est blanche, une image qu’on nous vend depuis des décennies.
Elle représente une société « uniforme » et plate. Cette uniformité apaise les consciences, rassure ceux qui veulent se faire de ce pays une idée certaine. Cette idée certaine proclame que le « recul » de la nation est le fait de l’autre.
Cet autre qu’on ne voit aux informations de vingt heures que lorsqu’il a transgressé la norme sociale, ou dans des reportages qui le montrent vivant dans des immeubles insalubres où il a importé ses mœurs primitives et ses animaux de brousse.
Aux yeux des partisans de l’uniformité, la multiplicité – d’autres diront la diversité – serait une pieuvre menaçant de gober leurs ancêtres les Gaulois – ceux qui avaient « l’œil bleu blanc, la cervelle étroite et la maladresse dans la lutte », comme l’écrivait Rimbaud. Ce n’est donc pas un hasard si les débats font la part belle aux questions du sang et du sol, principales origines de la nationalité à condition d’en écarter d’autres comme le mariage, l’adoption, etc. »
Alain Mabanckou 
Alain Mabanckouest né à Pointe-Noire au Congo-Brazzaville, où il a grandi et est allé au lycée. Il a commencé des études de Droit à l´université Marien Gouabi de Brazzaville qu'il a poursuivies en France à Paris-Dauphine. En 1993, il passe avec succès un DEA en droit des affaires. Parallèlement, il produit et anime des émissions culturelles à Média Tropical. Conseiller dans une filiale du groupe Suez-Lyonnaise des eaux, il devient en 2003 professeur de "Creative Writing" et de littérature francophone à l’Université du Michigan-Ann Arbor., à la suite d'une résidence en écriture en 2002.
Poète, il a publié son premier recueil, Au jour le jour, en 1993 (Saint-Estève, Maison rhodanienne de Poésie). Son premier roman, Bleu, blanc, rouge (Présence africaine) paraît en 1998.
Il a reçu en 1995 le prix de la Société des Poètes Français ; en 1998 le Grand Prix littéraire de l’Afrique noire ; en 2004 la médaille de citoyen d’honneur de la ville de Saint-Jean d’Angely en Charente Maritime (France) ; en 2005 le "Prix du roman Ouest-France-Etonnants Voyageurs 2005", le "Prix des Cinq Continents de la Francophonie 2005", le "Prix RFO du livre 2005"
Ses œuvres sont traduites dans une quinzaine de langues. Son roman Verre cassé a fait l’objet de plusieurs adaptations théâtrales
Dans un récent entretien avec Evene.fr [réf. nécessaire], il souligne que « le danger pour l'écrivain noir est de s'enfermer dans sa "noirceur", comme dirait Frantz Fanon. Il ne s'agit pas de tomber dans le piège de l'affrontement basique entre la civilisation noire et blanche. L'autocritique est essentielle si l'on veut ensuite poser un regard juste sur le reste du monde».
Aller plus loin...
Chez Gangoueus>>Le sanglot de l’homme noir ou l’art de sortir du doudouisme bêlant ! - 29 mai 2012
Chez Gangoueus>>Chez GANGOUEUS: Alain Mabanckou : Le sanglot de l'homme noir - 4 jan 2012
Et un entretien sur RFI >>Alain Mabanckou : « Ce Français… qui veut à tout prix savoir de quelle origine je suis » Entretien avec Pascal Paradou - >>Lire - >>écouter (26:30)
Editeur : Fayard - janvier 2012 - 184p.
Cette lecture partagée nous a été adressée par Chantal DIMIER, de l'association Ebenbao - Lavaur, 27 avril 2012.
[Réd. 2012-07-01]