Yasmina KHADRA – L’Équation africaine
Médecin à Frankfurt, Kurt accepte après un drame familial, de partir en haute mer avec son ami Hans. Loin d’une thérapie tranquille et restauratrice, le voyage va prendre une tournure inattendue après une attaque de pirates Somaliens.
Confrontés à la violence d’une Afrique souterraine et insaisissable, Kurt et son ami vont traverser des épreuves insoutenables, qui vont peu à peu les ouvrir à la réalité d’un monde dont ils ignoraient tout.
Tour à tour émouvant, et cruel, ce roman dépeint des personnages hors du commun, pris dans les situations inextricables d’un continent livré au banditisme.
Cette terrible descente aux enfers est à la fois un récit d’aventure et d’amour. L’auteur nous livre un polar sensible où otages et ravisseurs oscillent entre cruauté et poésie. Seul l’enjeu de la rançon est omniprésent dans une Afrique qui sert de décor.
Point d’analyse politique sur les vrais problèmes de ce continent, mais une subtile description de la condition humaine dans les pires instants imaginables. Il n’en demeure pas moins que la fiction ne fait pas l’impasse sur l’authenticité d’un contexte qui fait souvent l’actualité des médias.
Une écriture simple qui glisse avec le récit et nous porte vers l’issue du roman.
Extrait
« -Qu’est ce qui t’autorise à nous traiter de sauvages ?
Nous aurais-tu décrochés d’une liane ou d’un baobab ?
J’aimerais bien savoir ce qui fait de nous des sauvages ?
La guerre ? Les vôtres sont pires que les cataclysmes. La misère ? C’est à vous que nous la devons. L’ignorance ? Qui te fait croire que tu es plus cultivé que moi ? Je suis certain d’avoir lu plus de bouquins que toute ta famille réunie, et toi en tête. Je connais à la virgule près Lermontov, Blake, Hölderlin, Byron, Rabelais, Shakespeare, Lamarck, Neruda, Goethe, Pouchkine, s’enflamme-t-il en les énumérant sur ses doigts tandis que son ton gagne en crescendo…. Alors, docteur Kurt Krausmann, qu’est-ce qui fait de moi un sauvage et de toi un civilisé ?
Il renifle très fort et revient à la charge :
- Qu’est-ce que tu vois en moi ? Un morceau de ténèbres noir jusque dans le blanc des yeux ?
- Je suis désolé si je vous ai offensé, monsieur, lui dis-je. Ce n’était pas dans mes intentions. J’aurais dit sauvage à n’importe quel homme qui passerait à côté d’une détresse sans s’en émouvoir.
- Le problème est que je ne suis pas passé à côté d’une détresse, docteur Krausmann, mais d’un chacal crevé.
- Je comprends.
Je ne reconnais pas ma voix. Je suis hypnotisé par le regard meurtrier qui me transperce. Dans le doute ambiant, lorsque la raison et le tort se neutralisent, la peur devient la forme la plus exacerbée de la reddition. Sans que je le réalise vraiment, je me surprends à rendre les armes. Est-ce la fatigue, la faim, l’envie qu’on me fiche la paix ? Ou bien ces trois facteurs à la fois ? Cela m’importe peu. Je ne veux pas débattre avec cette brute. Et quel débat ? Pour quel enseignement ? On ne négocie pas avec des êtres rompus aux méthodes expéditives et parfaitement conscients de leur impunité. Avec ces gens-là, il faut faire des concessions. Ça ne sert à rien d’essayer de les raisonner ; leurs convictions sont ailleurs. Joma n’est qu’un bourreau, et pour le bourreau, quand bien même sa souveraineté ne serait que de substitution, il s’accomode volontiers de la soumission résignée de sa victime.
Joma est pris de court. Il était venu ruer dans le brancard : ma capitulation spontanée le laisse sur sa faim. Il ne s’y attendait pas et est navré de devoir reporter ses péroraisons à plus tard.
« Vis chaque matin comme s'il était le premier
Et laisse au passé ses remords et méfaits
Vis chaque soir comme s'il était le dernier
Car nul ne sait de quoi demain sera fait».
Yasmina KHADRA
Moammed Moulessehoul choisit en 1997, avec le roman Morituri, d'écrire sous pseudonyme. Diverses raisons l'y poussent, mais la première que donne Moulessehoul est la clandestinité. Elle lui permet de prendre ses distances par rapport à sa vie militaire et de mieux approcher son thème cher : l'intolérance.
Officier dans l'armée algérienne, il démissionne en 2000, pour se consacrer à sa vocation : l'écriture, et choisi de s'exprimer en langue française. Après un court passage au Mexique, il vient s'installer en 2001, en France, où il habite encore aujourd'hui. En 2002 dans L'imposture des mots, Khadra-Moullessehoul répond aux attaques qui fustigent son passé militaire.
Il choisit de rendre hommage aux femmes algériennes et à son épouse en particulier, en prenant ses deux prénoms, Yasmina Khadra, et ne révèle son identité masculine qu'en 2001 avec la parution de son roman autobiographique L'Écrivain et son identité tout entière dans L'imposture des mots en 2002. Or à cette époque ses romans ont déjà touché un grand nombre de lecteurs et de critiques.
Parmi ses ouvrages, on peut citer 'Morituri' (Baleine, 1997), 'L' automne des chimères' (Baleine, 1998), 'A quoi rêvent les loups' (Julliard, 1999) et 'Cousine K' (Julliard, 2003), où se déploie le 'style Khadra 'alliant lyrisme, métaphores inattendues, dépouillement et poésie. Style qui atteint son apogée avec 'L' Attentat' (Julliard), retenu par les jurys du Goncourt et du Renaudot en 2005. En 2010, l'Algérien délaisse pour un temps le sujet du conflit au Moyen-Orient, au coeur des 'Hirondelles de Kaboul' (Julliard, 2002) et 'Les Sirènes de Bagdad' (Julliard, 2006) pour livrer un conte moral : 'L' Olympe des infortunes' aux éditions Julliard. "Ce que le jour doit à la nuit" paraît en 2008 chez Julliard. À la rentrée littéraire 2011, Yasmina Khadra présente 'L' équation africaine' (Julliard).
[Sources : site Yasmina KHADRA et Evène]
Cette lecture partagée nous a été adressée par Chantal DIMIER, de l'association Ebenbao - Lavaur, 31 août 2012.
Pour aller plus loin
Le Site de Yasmina KHADRA >> http://www.yasmina-khadra.com/index.php
Un passionnant entretien sur RFI, Littératures sans frontières, par Catherine Fruchon-Toussaint
>> 1. Yasmina Khadra «L'équation africaine» (rediffusion) - 23 juillet 2012
>> 2. Yasmina Khadra «L'équation africaine» (rediffusion) - 23 juillet 2012, même date
CINÉMA - Ce que le jour doit à la nuit, de Alexandre Arcady, sortie 12 septembre 2012
Adapté du roman de Yasmina KHADRA,
>>Présentation sur Africultures
>>Présentation sur Africiné
BANDE DESSINÉE - L'ATTENTAT - "Déchirement - C'est l'un des chocs de la rentrée BD: Loïc Dauvillier et Glen Chapron signent chez Glénat un roman graphique vibrant, adapté du roman de Yasmina Khadra "L'attentat", dans lequel le drame intime se mêle à la tragédie de l'inextricable conflit israélo-palestinien." [Source AFP, repris sur plusieurs sites]
Editeur : Juliard - Août 2011
[Réd. 2012-09-17]